jeudi 25 août 2011

Uchronies : le repli sur les marges

L'uchronie en ligne suit un peu le principe de l'iceberg. Une toute petite partie de cette production textuelle est immédiatement visible. Il suffit de gratter un peu pour découvrir des ramifications sans fin. Je pensais avoir fait le tour de la question après mon précédent billet. Et voici que je découvre plein de trucs intéressants. En fait de la matière pour plusieurs billets.

Commençons dans l'ordre par une initiative assez médiatisée qui a pourtant échappé à mon regard facilement aguiché d'uchronophile : le dossier uchronie de nabbu.com. L'éditorial a des allures de blockbuster — on va voir ce qu'on va voir :


Et… pas grand chose. Pour ceux qui connaissent un peu le genre, l'intérêt est limité. Loin de faire le tour le la question, le supposé dossier se limite à une simple collation de fiches de lecture. Les intérêts des concepteurs étaient probablement ailleurs. Comme le remarque un amateur à qui on ne le fait pas :

Apparemment, ils ont monté ce dossier avant la parution de Rêves de Gloire — Mireille Rivallan le signale comme "à paraître" dans son interview.

Heureusement, il y a les interviews, ou, plus exactement, L'interview d'Eric B. Henriet, LE spécialiste français sur la question. Il s'agit l'air de rien d'un important complément son étude déjà classique, L'histoire revisitée — Panorama de l'uchronie sous toutes ses formes. Un peu plus de 7 ans après la parution de la seconde et dernière édition, Henriet revient sur les récentes évolutions du genre. Son diagnostic n'est pas trop positif.

En France, elle [l'uchronie] n'en est pas plus avancée qu’au début des années 2000. Je pourrais même dire qu'elle a légèrement régressé.

Passé un certain effet de mode, la littérature imprimée s'en détourne. Sans vouloir être excessivement critique, j'ai comme le sentiment que nos gransécrivains nationaux (Carrère, Schmitt, Volkoff…) ont simplement fait joujou avec un genre qui avait pour eux le relatif attrait de la nouveauté. Une fois évidé l'effet de manche initial, il n'y aurait plus grand chose à rajouter. On reste coincé sur le paradoxe du jeu avec l'histoire — un peu à l'instar du voyageur temporel de René Barjavel qui demeure prisonnier d'une succession de sophismes : « il a tué son grand-père, donc il n'existe pas. Il n'existe pas, donc il n'a pas tué son grand-père ». Le goût assez typiquement français pour le texte-pris-comme-texte ou le texte-abyme-du-texte empêche de prendre l'uchronie au sérieux comme Dick ou, plus récemment, Michael Chabon ont su le faire.

Dès lors, Henriet prend acte d'une certaine désofficialisation de l'uchronie. Son intérêt se déplace aux productions extra-littéraires. Soit, en tout premier lieu, la bande dessinée. Elle a fonctionné comme principal relais du Steampunk, ce genre-frère de l'uchronie, au moment où il menaçait de succomber à une certaine désaffection. La littérature numérique assumerait-elle également ce rôle ? L'intervieweur paraît être tout près de poser la question. Il met en évidence le cas, que nous avons déjà cité, du site 1940lafrancecontinue. Toutefois, plutôt que de le rattacher à l'ensemble plus vaste de la webuchronie, il en fait un simple exemple de l'intérêt des historiens pour cette thématique. Comme une occasion manquée…

Voilà tout ce qu'on peut dire pour l'initiative un peu mitigée de Nabbu. A ceci près qu'elle a donné lieu à un article, assez mal foutu, publié sur rue89. Vu la tonalité publicitaire de ce machin, on devine comme une espèce de renvoi d'ascenseur. Néanmoins, ça participe de la médiatisation du genre (ou ne va pas cracher sur la soupe). D'autant que ce simili-communiqué a attiré la bagatelle de 137 commentaires et 24824 visites — plus, probablement, que l'audience cumulée des webuchronies dont j'ai pu faire la critique.

Ça fait plus de trois ans que je traîne comme commentateur occasionnel sur la Rue, et d'expérience, j'ai pu remarquer que les commentaires étaient souvent plus pertinents que les articles. Notre simili-communiqué souscrit à cette observation générale. On trouve plein de choses pour peu qu'on prenne la peine de scroller / cliquer un coup : sélections de lectures, considérations générales sur le genre et référencement d'uchronies en ligne. C'est ainsi que je suis tombé sur une mine d'or, Utopiauchronia, un site italien qui propose également quelques uchronies françaises à ne pas piquer des hannetons. Bref, le sujet de mon prochain billet…