samedi 27 août 2011

Et si Kadhafi avait gagné la guerre ? (2/5)

La Libye était calme. Depuis une dizaine de jours, loyaliste et rebelles se regardaient en chiens de faïence. Une frontière informelle s’était mise en place le long d’une ligne qui, partie de Brega, courait en droite ligne jusqu’au Tchad. Des combats éclataient sporadiquement. Le front ne bougeait plus.


Depuis la mi-mars le colonel Kadhafi avait entièrement repris le contrôle de ce qu’il est convenu d’appeler maintenant la Libye-de-l’ouest. Sabratha, Zaouïa et Misrata étaient rapidement tombées. Les renforts venus de Benghazi demeuraient contenus au-delà de Ras Lanouf. Le relatif succès de la contre-offensive loyaliste tenait à sa relative modération. Devançant les accusations de l’occident, l’armée n’avait pas eu recours à l’aviation. Toutes les interventions s’étaient déroulés au sol…

En dépit des insistances du gouvernement français, l’ONU rechignait à s’ingérer dans les affaires libyennes. Tandis que les russes et les chinois freinaient des quatre fers, Ban Ki-Moon se contentait de quelques sévères attaques verbales, se disant scandalisé, insistant sur l’arrêt des violences, estimant que Kadhafi n’avait pas tenu parole. Le Kadhafi en question regardait et lisait régulièrement ces implacables sermons. Ces mains s’agitaient convulsivement. Il faisait semblant de trembler pour amuser la galerie.

Néanmoins, les tractations avançaient. Medvedev et Hu Jintao constataient la multiplication de revendications révolutionnaires dans leur pays respectifs. Il importait de détourner l’attention de l’opinion publique des pays développés. Il fallait un os à ronger. La Libye pourrait être cet os.

Des rumeurs circulaient quand à l’adoption prochaine d’une résolution par le conseil de sécurité. Ses termes demeuraient flous (d’aucuns parlaient d’une zone d’exclusion aérienne…). A vrai dire ça n’avait aucune importance : une fois la brèche ouverte, il était facile de s’y engouffrer.

La Base aérienne 126 Solenzara vivait dans l’expectative d’un déploiement imminent. Le personnel permanent (environ un millier de personnes) voyait passer et repasser les chasseurs au gré de l’évolution de l’actualité et des évolutions subséquente de la stratégie militaire. La mer était tranquille. Derrière l’horizon, on devinait la présence lointaine et trouble des côtes libyennes et de leurs découpages politiques improvisés.

L’ingénieur XYZ ne devinait pas. Il surveillait, par radars et satellites interposés, les mouvements maritimes en provenance du golfe de Tripoli. Jusqu’ici, et depuis bientôt un mois, RAS. Il connaissait mal la région qu’il était censé observer huit heures sur vingt-quatre. Il avait commencé à se renseigner. A cette fin, il avait acheté, par erreur, le Rivage des Syrtes de Julien Gracq. Il trouvait le ton un peu trop métaphorique. Il n'avait pas encore compris que le presque-Goncourt 1951 n’avait pas grand chose à voir avec le Golfe de Syrte — hormis quelques coïncidences fortuites. Il feuilletait et attrapait au passage quelques phrases :

Très au-delà, prodigieux d’éloignement derrière cet interdit magique, s’étendaient les espaces inconnus… N’allons pas plus loin… Le rivage vibra… On entendit se répercuter trois coups de canon…

Trois lueurs se répercutaient sur le radar. XYZ ne les avait pas vus paraître — il alternait assez imprudemment, travail et lecture. Les trois bâtiments n’avaient pas de pavillon. Ils n’étaient pas déclarés. Ce pouvait être des radeaux de rescapés. Il y a quelques semaines, on avait faussement prétendu qu’un porte-avion français aurait délibérément ignoré une embarcation d’émigrés sur le point de sombrer. Il convenait d’éviter la réalisation de ce drame fantasmé…

XYZ contacta une frégate sise à proximité des eaux territoriales libyenne. « On les a aussi repéré. On va venir à leur rencontre ». XYZ se recala sur son siège. Il regardait fixement l’avancée des trois inconnues. Il se fatigua rapidement du spectacle et reprit sa lecture par intermittence. Une demi-heure plus tard, la frégate le rappela « Ne sommes pas parvenus à les rattraper. Avons eu une conversation radio. Prétendent avoir fait défection et chercher hospitalité en France. Leur avons enjoint de s’arrêter à proximité de Lampedusa ».

Les trois lueurs continuaient de filer. Elles étaient équipées d’un moteur puissant qui les amenait sans trop d’effort au-delà des 30 nœuds…