dimanche 18 septembre 2011

wiki-roman-feuilleton (18/60)

Jusqu’en août 2019, Panubert s’appelait Antoine Piccard-Streim — un nom on ne peut plus genevois. Progressivement, son pseudonyme wikipédien avait fini par remplacer son état civil. Il l’avait d’abord utilisé sur des CVs et des documents procéduriers, puis dans la vie de tous les jours. En 2017, il obtint la présence d’un nom d’artiste sur son passeport. Enfin, deux ans plus tard, une dérogation cantonale spéciale effaçait Piccard-Streim des registres administratifs. Il était universellement et usuellement connu sous le nom d’Antoine Panubert.

Rien ne prédisposait pourtant une telle substitution. « Panubert » n’était rien de plus qu’un mot-valise, une fusion improvisée de Panurge (une allusion aux moutons) et de Hubert (pourquoi Hubert ? Il n’en savait même plus rien). Il s’était inscrit le 18 septembre 2011 sur la version francophone de l’encyclopédie en ligne. 29 ans plus tard, il continuait d’y contribuer activement.

Il rédigeait un paragraphe sur un philosophe grec oublié (on avait récemment retrouvé un fragment le concernant lors de fouilles dans l’ancienne Bactriane), lorsque son conversant vint le voir :
— On frappe à la porte. Ces individus ne sont jamais venus ici. Est-ce que je les laisse entrer ?
— De qui s’agit-il ?
— Ramaad Azitullah et Guido Colón. Ils travaillent tous deux à la Fondation. Leurs visages sont impassibles. Rien ne permet de déceler ce qu’ils ont en tête.
— Fais les entrer. Propose-leur des rafraîchissement pendant que je boucle ce travail.
Il tapota encore un demi-quart d’heure sur sa feuille écran. Le résultat lui paraissait assez convenable (il était d’ailleurs assez amusant de noter que l’article n’avait pratiquement pas bougé depuis un tiers de siècle) :


Lorsqu’il arriva au salon, Ramaad et Guido étaient confortablement installés sur deux poufs gonflables. Une feuille-écran diffusait les rythmes un peu kitsch d’un vieux rap chinois. Chacun des deux hommes portait un petit verre de jus de cactus. Ils le sirotaient par intermittence.

Guido parla le premier. Il alla droit au but (il n’avait pas beaucoup de temps à accorder aux salutations et autres circonvolutions que multiplient à l’envie les gens inquiets) :
— Juste une question, une seule. As-tu fini par rejoindre la cabale romande ?

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