mercredi 29 août 2012

Jesus contre Hitler

Ça faisait quelques temps que je me disais que je devrais réactiver ce blog. Plutôt que de repartir dans un nouveau roman-feuilleton destiné à demeurer fatalement inachevé, je vais tenter de parler d'autrui. Ça fait déjà quelques années que je fais de la critique musicale et je dois dire que la critique littéraire me démange un peu – et oui, chez le voisin, l'herbe est toujours plus verte.

Pour l'occasion, j'ai décidé d'opter pour une série romanesque toute récente – elle ne date que d'avant-hier. Le titre donne tout de suite la couleur : Jésus contre Hitler.

Je l'ai vu passer ce matin dans mon fil twitter, grâce à la diligence, il me semble, de sobookonline. Une fois passé l'ébahissement initial, tendance what the fuck, je me suis empressé de télécharger le premier volume, gratuit pour l'instant dans l'optique d'une offre de lancement. Je viens de le finir.

Avant toute chose, attachons-nous au paratexte. Ce curieux objet est le produit des éditions Walrus, d'ores et déjà réputées pour leur audace expérimentale. Elles tentent, pour l'essentiel, de tirer partie des potentialités esthétiques du livre numérique. Le répertoire est évidemment à l'encan, volontairement iconoclaste avec sans doute des ratés au passage, mais qu'importe : dans le contexte d'une certaine sclérose de l'industrie du livre, ce rafraichissement fait plaisir à voir.

Jésus contre Hitler est bien dans l'air (et l'ère) du temps – sooooo 2012 dirait Baron Cohen. Le principe est simple : il consiste à entreposer une, deux ou plusieurs icônes connues dans des conditions aussi décoiffantes que possible. On a vu fleurir ce genre d'initiative au cours des dernières années, dans le sillage, notamment, des deux best-sellers de Seth Grahame-Smith : Orgueil et préjugés et Zombies et Abraham Lincoln chasseur de vampire.

À la limite, je serai presque tenté de qualifier ce genre jusqu'ici non-identifié de fantasmy. Plus qu'une simple fantasy, il s'agit d'articuler divers fantasmes et constructions sociales récurrentes. L'auteur ne prétend pas élaborer un monde alternatif : il souhaite plutôt recycler, voire remixer tout un imaginaire collectif.

Dans cette optique, Jésus et Hitler présentent ceci d'intéressant que leurs symbolisations et leurs instrumentalisations sont extrêmement diverses. La matière est riche, propice aux situations les plus surprenantes. Ceci dit, si les prémisses paraissent prometteuses, l'exécution suit-elle ? Assiste-t-on à un remixage de qualité ? Je serai tenté de répondre par l'affirmative.

L'auteur s'attache à mener jusqu'à son thème initial jusqu'à son terme, avec le plus grand des sérieux. Le style est assez classique, clair et neutre. Il s'autorise peu d'écart. Le décalage avec la situation historique est aussi minimal que possible : le theatrum mundi est bien celui de 1960, avec ses techniques datées, ses conjonctures politiques et ses trajectoires individuelles où l'on ressent le passage de la grande histoire (l'un des personnages principaux, Goldstein, évoque ainsi la disparition d'une partie de sa famille dans les camps en des termes quasi-naturalistes).

Cette rigueur narrative sert grandement le délire du propos. Un peu malgré moi, je me surpris à prendre au sérieux, les préparatifs de guerre de John Christ, ses relations, pas toujours évidentes avec Goldstein etc.

Les recettes de base de la bonne fantasmy tendent ainsi à s'apparenter à celle de l'uchronie : ici comme là les meilleurs créations du genre sont celles qui tirent des conséquences aussi concrètes que possible de la divergence initiale.

Finalement, Jésus contre Hitler me fait aussi beaucoup penser à une partition musicale. Le véritable plaisir de lecture ne vient pas seulement du sujet choisi (même si l'on ne doit pas nier qu'il constitue en soit un important motif d'incitation). Ce qui prime avant tout, c'est la jouissance de la variation et du développement, de la capacité du texte à déployer toute l'inventivité de ses composants initiaux.

 

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